L'urbanisation croissante, la mondialisation des échanges de biens et de personnes, et le changement climatique contribuent nettement à l'expansion des maladies transmises par les moustiques. Le nombre de cas de dengue a été multiplié par trente ces cinquante dernières années, et le nombre et la fréquence des épidémies de Paludisme, Chikungunya et fièvre jaune ne cessent de croître depuis 2014. Face à cette situation alarmante, due en partie aux résistances physiologies et aux changements de comportement des moustiques, ainsi que leurs dommages environnementaux, poussent les scientifiques à trouver des alternatives.
- Les stratégies de moustiques transgéniques
Ces dernières années, plutôt que d'utiliser des insecticides, éliminant sans distinction l'ensemble des moustiques d'un écosystème, les scientifiques se sont penchés sur deux nouvelles stratégies plus sélectives et avec moins d'impact environnemental, utilisant des moustiques génétiquement modifiés :
- la suppression sélective des espèces de moustiques vecteurs de maladies, puisque seuls environ 10% des espèces de moustiques transmettent des maladies à l'homme. Cette stratégie repose sur la reproduction et le relargage de moustiques transgéniques d'une espèce cible, permettant à terme la disparition de leur population.
- la modification génétique des espèces de moustiques vecteurs de maladies afin qu'ils ne transmettent plus leurs pathogènes à l'homme. A la place d'éliminer les moustiques eux-mêmes, cette stratégie de modification du génome des moustiques permet d'éliminer les pathogènes qu'ils contiennent, à l'origine des maladies transmises.
- La suppression sélective à l'aide de moustiques transgéniques
Durant ces dix dernières années, l’émergence des nouvelles technologies de génie génétique, comme le célèbre et controversé système de CRISPR Cas9, prix Nobel de Chimie en 2020, a permis de créer une grande diversité de moustiques transgéniques, en vue de leur éradication.
Le système de forçage génétique, utilisant CRISPR Cas9, permet à un gène d’être transmis avec quasi-certitude à sa progéniture, en s’affranchissant de la sélection naturelle. Cette technique a permis par exemple, la transmission de gènes de stérilité chez les moustiques femelles, ce qui a conduit à l’extinction totale en laboratoire d’une population d’Anophele gambiae, un moustique vecteur du paludisme, en 7 à 11 générations.1 D’autres méthodes de modification du génome ont permis la production d’œufs contenant des futurs mâles stériles,2 des femelles ne pouvant voler,3,4 ou encore des moustiques s’auto-intoxicant en l’absence d’un antibiotique.3,4
Bien que ces nouvelles techniques semblent très efficaces pour éradiquer une population cible de moustiques, plusieurs inconvénients sont à souligner.
Le coût de ces méthodes, dû à la technique de production et à la quantité de moustiques à relâcher régulièrement, reste très important.
De plus, ces techniques doivent également être éprouvées en dehors d’un laboratoire ; mais un certain nombre de précautions sont à prendre puisque le relargage de moustiques transgéniques dans l’environnement est irréversible. Par exemple, la technologie basée sur l’auto-intoxication des moustiques avait obtenu un premier permis d’utilisation expérimentale pour un relargage de 450 000 Aedes aegypti transgéniques au Brésil. Cependant, cette expérience n’a pas permis de diminuer la population d’Aedes aegypti. Au contraire en dix-huit mois, le nombre de moustiques est revenu au même niveau que celui du pré-relargage.7 En effet, ce test a rapidement perdu en efficacité puisque des phénomènes de discrimination sexuelle contre les moustiques transgéniques ont été notés : les moustiques sauvages ne se reproduisant plus qu’avec des moustiques sauvages. De plus, au cours de ce test une faible partie des moustiques transgéniques a réussi à créer une progéniture hybride viable, ce qui est l’inverse de l’effet désiré.6 Ainsi cette expérience a créé artificiellement une nouvelle souche de moustiques sans parvenir à réduire la population de moustiques vecteurs de maladie. Malgré ce premier échec, un nouveau permis de relargage massif, de 2,4 milliards de moustiques d’Aedes aegypti transgéniques, produits par la même technologie qu’au Brésil, vient d’être autorisé en Californie et Floride entre 2022 et 2024.5
Par ailleurs, la stabilité du génome des moustiques transgéniques est encore inconnue dans la nature. En effet, la reproduction des moustiques étant rapide, des résistances ou adaptations génétiques ne seraient pas surprenantes et des relargages réguliers de moustiques transgéniques, indispensables pour ce type d’approche, conduiraient à entretenir une population de moustiques plutôt que de la réduire.
Enfin, l’éradication d’une espèce en un lieu donné, en plus de présenter un aspect éthique et écologique négatif, peut conduire à une ré-invasion des populations voisines de la même espèce ou d’autres espèces occupant la même niche.
- La modification génétique
Ainsi l’approche transgénique trouverait une meilleure application dans la stratégie de modification de population, qui serait moins onéreuse et plus durable éthiquement et écologiquement. Un certain nombre de méthodes, permettant la production de nouveaux moustiques qui ne transmettent plus de maladie, ont été récemment développées en laboratoire. Par exemple, le système de forçage génétique a permis la transmission d’un gène assurant la production de toxines antimicrobiennes dans l’intestin du moustique, empêchant la survie de Plasmodium, le parasite à l’origine du Paludisme.8 De même, d’autres méthodes de modification génétique ont permis aux moustiques modifiés de produire des molécules (peptides, anticorps et ARNi) empêchant la réplication et la transmission des virus de la Dengue, du Chikungunya,9 de Zika.10 Cependant, ces techniques n’ont pas encore été testées en plein champ.
De même que pour la stratégie de suppression, de nombreuses questions restent en suspens sur l’efficacité à long terme et le coût environnemental de cette stratégie de modification génétique : ces moustiques transgéniques ont-ils un génome modifié suffisamment stable pour faire face à l’évolution naturelle ? Quel est le devenir des pathogènes des moustiques ? Ne risque-t-on pas d’induire la création des pathogènes plus virulents ou plus résistants ?
Claire Grison - Ingénieur en Biochimie, Docteur en Chimie Organique et Rédactrice Scientifique
Références :
[1] K. Kyrou, A. M. Hammond, R. Galizi, N. Kranjc, A. Burt, A. K. Beaghton, T. Nolan and A. Crisanti, Nat Biotechnol, 2018, 36, 1062–1066.
[2] N. P. Kandul, J. Liu, H. M. Sanchez C., S. L. Wu, J. M. Marshall and O. S. Akbari, Nat Commun, 2019, 10, 84.
[3] G. Fu, R. S. Lees, D. Nimmo, D. Aw, L. Jin, P. Gray, T. U. Berendonk, H. White-Cooper, S. Scaife, H. Kim Phuc, O. Marinotti, N. Jasinskiene, A. A. James and L. Alphey, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2010, 107, 4550–4554.
[4] G. M. C. Labbé, S. Scaife, S. A. Morgan, Z. H. Curtis and L. Alphey, PLOS Neglected Tropical Diseases, 2012, 6, e1724.
[5] Environmental Protection Agency, Experimental Use Permit Amended for 93167-EUP-2 to Allow Releases of OX5034 Aedes aegypti in Florida and California, https://www.regulations.gov/document/EPA-HQ-OPP-2019-0274-0470.
[6] B. R. Evans, P. Kotsakiozi, A. L. Costa-da-Silva, R. S. Ioshino, L. Garziera, M. C. Pedrosa, A. Malavasi, J. F. Virginio, M. L. Capurro and J. R. Powell, Sci Rep, 2019, 9, 13047.
[7] J. R. Powell, Insects, 2018, 9, 139.
[8] A. Hoermann, S. Tapanelli, P. Capriotti, G. Del Corsano, E. K. Masters, T. Habtewold, G. K. Christophides and N. Windbichler, Elife, 2021, 10, e58791.
[9] P.-S. Yen, A. James, J.-C. Li, C.-H. Chen and A.-B. Failloux, Commun Biol, 2018, 1, 1–9.
[10] A. Buchman, S. Gamez, M. Li, I. Antoshechkin, H.-H. Li, H.-W. Wang, C.-H. Chen, M. J. Klein, J.-B. Duchemin, P. N. Paradkar and O. S. Akbari, Proc Natl Acad Sci U S A, 2019, 116, 3656–3661.